Oran- News, Le Blog de Hakim

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Pourquoi Bouteflika tarde-t-il à annoncer sa candidature ?

par Aïssa Hirèche, Le Quotidien d'Oran, 27 décembre 2008                       photo du blog

Des observateurs de la scène politique nationale n'ont pas manqué de souligner le retard important qu'enregistre l'annonce de l'actuel président de la République quant à sa candidature à un troisième mandat, d'autant plus que, de l'avis de tout le monde, tout semble l'assurer d'obtenir ce troisième mandat.

En effet, et pour qui se contente de regarder au jour le jour, il pourrait sembler qu'il y a retard d'annonce sauf que, sur le plan stratégique, il est clair que Bouteflika est en train d'attendre, ce qu'on appelle «le moment opportun» car, pour réussir une campagne électorale, il faut la mener selon une planification rigoureuse or, l'une des conditions de réussite de la planification consiste justement à bien choisir le moment pour la mise en oeuvre et l'exécution de ce qu'on entreprend.

La question qui se pose dès lors est plutôt de savoir quel sera le moment propice pour Bouteflika de faire l'annonce de sa candidature. Ce n'est pas un caprice du chef de l'Etat, comme certains auraient tendance à le croire, car il est des moments dans la vie des hommes où même les plus capricieux cessent de l'être, et ce n'est pas une quelconque « pêche aux lièvres » non plus car, nous le savons tous, ce n'est pas ça qui poserait problème du moment que les candidats à ce jeu n'ont jamais manqué jusque-là. Bouteflika a sans doute plusieurs raisons majeures de ne pas se presser pour rendre publique sa décision de se porter candidat. Stratégiquement, au moins cinq raisons majeures l'empêchent d'annoncer sa candidature dans l'immédiat.

Première raison: s'assurer du soutien de l'environnement international

L'histoire nous a appris - et à une ou deux exceptions près - que lorsqu'un président du tiers-monde est candidat à sa propre succession, sa réélection ne pose, en principe, aucun problème. Mais l'histoire, de nos jours, ne semble plus suffire. Il devient dès lors impératif de prendre en considération les évolutions, les changements et les mutations de l'environnement. Les sphères du pouvoir et le pouvoir lui-même sont devenus si complexes et si compliqués que, même dans les pays du tiers-monde, une veille stratégique s'impose avant toute élection présidentielle.

Cette veille, et en plus des missions classiques qu'on lui connaît, devra servir surtout à procéder à une reconnaissance des positions des grands pays de ce monde, notamment ceux géopolitiquement influents, afin de déterminer les actions à mener à leur égard pour arracher leur consentement et, si possible, leur soutien.

Les actions à mener sont donc toujours de deux sortes : corriger les perceptions de ceux qui manifestent une hésitation ou un refus de soutien et renforcer celles de ceux qui n'hésitent pas à apporter leur soutien.

Pour les prochaines élections présidentielles en Algérie, force est de constater que ces actions à l'attention de l'environnement externe sont dictées par une triple considération.

La première considération est d'ordre sécuritaire. Notre pays a vécu une période des plus dures et toutes les conséquences de cette période ne sont pas encore effacées. Beaucoup de pays voisins se sentent directement concernés par notre situation sécuritaire, en ce sens, qu'ils aimeraient avoir une garantie de sécurité à leurs frontières et, de ce point de vue, les prochaines élections présidentielles les intéressent à plus d'un titre. Il y a certes la France, mais il y a aussi tous les autres voisins envers lesquels Bouteflika se devrait d'envoyer des signes rassurants quant à cette donne qu'est le terrorisme en Algérie. Un phénomène qui n'est plus de la même ampleur, certes, qu'il y a des années, mais qui n'est pas encore totalement éradiqué. C'est, d'ailleurs, dans ce sens qu'il convient de lire la récente déclaration du Général américain Dell L. Dailey, selon laquelle, l'Algérie aurait mis en faillite El-Qaida (Le quotidien d'Oran du 20/12/2008). Une déclaration-caution de la puissante Amérique et qui peut être, sans doute, assimilée à un soutien des USA, mais aussi à un signe de ces derniers destiné aux autres pays (France, Allemagne et Grande-Bretagne notamment), qui ne devront donc pas tarder à manifester leur soutien à une autre candidature de Bouteflika. Que cette manifestation de soutien soit communiquée clairement aux médias ou qu'elle prenne la forme de visites de hauts responsables de ce pays en Algérie, ce n'est pas tellement différent. L'essentiel étant le soutien.

Mais il n'y a pas que ces pays, il y a les pays voisins, les pays frères, les pays amis dont nous ne tarderons pas à entendre, par médias interposés, ou à voir (par visites même éclair) la manifestation de soutien à Bouteflika et tant que ces soutiens ne sont pas encore exprimés, Bouteflika ne pourra pas se prononcer, ou du moins retarder son annonce.

La seconde considération, quant à l'action destinée vers l'environnement externe, est plutôt liée à la légitimité. Il faut dire, en effet, que le dernier amendement de la Constitution par lequel a été supprimée la limitation du nombre de mandats ne plaide pas pour qualifier de démocratique la démarche de Bouteflika, d'autant plus que les parlementaires qui ont approuvé l'amendement ont été élus dans les conditions d'abstention extrême qu'on sait.

Cet aspect des choses n'a certes pas échappé à Bouteflika, qui a dû (déjà) entreprendre des démarches pour faire admettre sa décision par quelques amis puissants dans le monde occidental, car si Sarkozy avait déclaré son soutien à un troisième mandat il y a très longtemps, on ne connait pas l'attitude des autres « amis ».

Troisième considération : l'Algérie est un pays pétrolier et donc intéressant à plus d'un égard. Cela non plus n'a pas échappé à Bouteflika, qui doit sans doute faire jouer la carte du pétrole pour obtenir de certains pays étrangers leur soutien. Certes, la baisse du prix est arrivée au mauvais moment mais ce n'est que conjoncturel, et cela aussi bien Bouteflika que ses vis-à-vis le savent. Compter un ami à la tête d'un pays pétrolier comme l'Algérie n'est pas donné.

Deuxième raison : rassurer les ONG et les journalistes étrangers

Mais il n'y a pas que les pays et les Etats. Il y a aussi les ONG et les journalistes étrangers qui, en matière d'élections présidentielles, posent plus de problèmes que les Etats eux-mêmes. Avant d'annoncer sa candidature, Bouteflika devra donc envoyer des signaux forts à l'endroit de ces ONG et ces journalistes or, quoi de mieux dans cette optique que d'ouvrir les portes aux observateurs internationaux et aux journalistes de la planète pour suivre de près le déroulement des élections. C'est donc à ce propos que l'Etat algérien, par le biais de son ministre de l'Intérieur, vient de déclarer ne pas être contre la venue des observateurs internationaux. Pour ce qui est des journaux et journalistes étrangers, ils ont toujours fait l'objet d'invitation en pareil événements et ce n'est pas cette fois qu'ils risquent de ne pas être conviés.

Troisième raison: s'assurer du soutien de l'environnement interne

Certes, ici et là, il y a des laudateurs qui crient à une «ouhda thalitha» et, matériellement, plus rien ne pourra empêcher Bouteflika de briguer ce fameux troisième mandat et tous ceux qu'il désire à l'avenir sauf que, entre le moment où les gens hurlent devant la caméra de la télé et le moment où ils se trouvent dans l'isoloir du bureau de vote, il y a souvent des différences. En plus, tout le monde n'a pas le même avis sur le bilan des deux mandats passés. On a vu comment certains ont même minimisé tout ce qui a été fait jusque-là par l'actuel président de la République. Partant de là, il est clair que Bouteflika n'annoncera pas sa candidature tant qu'il n'est pas certain d'avoir au moins « fait un plus », lui qui aime frapper l'imaginaire des Algériens, il sait qu'il doit faire quelque chose avant d'annoncer sa candidature. Mais quoi ? Nommer un Premier ministre à la place du chef du gouvernement ? Le simple citoyen n'en a que faire. Procéder à un remaniement ministériel ? Nul ne s'en sentirait concerné. Bouteflika sait que quel que soit le soutien externe, ce sont en fin de compte ses concitoyens qui l'éliront et que pour bénéficier de leurs voix, il faut les sensibiliser. Dans cet ordre d'idée, Il n'est pas impossible que Bouteflika ait gardé l'annonce du nouveau découpage administratif pour cette occasion, histoire de s'assurer du soutien des populations des villes promues et, d'un autre côté, ce n'est pas un hasard si le budget du programme du président a été revu à la... hausse. Le Premier ministre vient d'ailleurs d'annoncer « jusqu'à 150 milliards de dollars pour un nouveau programme ».

Connaître ses concurrents

L'actuel président de la République compte d'abord sur les partis de l'Alliance (FLN, RND et MSP) pour réaliser ses projets. Mais il compte aussi sur d'autres partis. Dans une bonne distribution de rôle comme nous avons l'habitude de voir, il apparaîtra certainement que ni le FLN ni le RND ni le MSP ne présenteront de candidats et que des partis, bien moindres, comme le PT de Louisa Hanoune, le FNA de Touati ou d'autres encore, se trouveront avec des candidats qui viendront jouer le jeu de la démocratie. Mais, Bouteflika a besoin de candidats autrement plus « à prendre au sérieux » et plus crédibles pour ces joutes de 2009.

D'autre part, il sait que dans le paysage politique algérien, il est des noms qui peuvent vraiment poser problème à sa réélection. Et, en tant qu'actuel président, rien ne l'oblige à précipiter son annonce. Au contraire, tout plaide pour qu'il soit le dernier à faire savoir sa candidature. En effet, Bouteflika prend tout son temps pour obliger ses éventuels concurrents (les vrais pas les lièvres) à se faire connaître, des concurrents qui, s'il s'en trouve, prennent bien soin de ne rien laisser filtrer avant d'avoir déposé leurs dossiers. D'ailleurs, cette précipitation de certains à annoncer leur candidature viserait, entre autres, à faire faire aux rivaux sérieux le faux pas de se démasquer.

Ainsi, Bouteflika se donne le temps de connaître ses concurrents avant d'annoncer sa candidature, car c'est aussi en fonction des concurrents qu'on fait l'annonce. Les conditions actuelles sont telles qu'il peut se permettre (en tant que favori) de retarder son annonce au dernier moment. Et c'est même ce qu'il semble décidé à faire.

Choisir un moment très approprié

Reste maintenant le moment où il doit faire l'annonce. Il faut convenir qu'on n'annonce pas n'importe comment une telle décision, surtout après avoir amendé la Constitution.

Parions donc que l'annonce sera faite à partir d'un endroit symbolique ou, du moins, en une occasion symbolique. En considérant le calendrier, nous remarquons que dans l'intervalle de temps qui nous sépare des élections d'avril 2009, les journées qui semblent les plus indiquées pour une telle annonce sont le 19 février (Journée du chahid), le 24 février (nationalisation des hydrocarbures - cette date signifie-t-elle encore quelque chose aujourd'hui ? - et naissance de l'UGTA) ainsi que le 03 mars (date du décès de Larbi Ben M'hidi). Faire l'annonce le 03 mars nécessiterait que Bouteflika se déplace à El-Kouahi (Aïn M'lila), chose qui ne semble pas très probable et donc il faut sans doute s'attendre à une annonce au mois de février (19 ou 24). Tout ce que Bouguerra Soltani avait laissé entendre quant à une annonce au mois de février ne serait finalement pas inventé. Il aurait eu vent de quelques informations. Des plus sérieuses, ce qui aurait fait réagir la présidence, car si ce que Soltani avait dit n'avait pas de rapport avec la réalité, aurait-on réagi du côté d'El-Mouradia ? Certainement pas !

Ce serait des considérations stratégiques qui poussent Bouteflika à repousser son annonce. Il y a donc lieu de croire qu'une stratégie électorale est déjà sur la table du Président. Malheureusement, et contrairement aux autres pays, en Algérie, on ne dit jamais le nom de celui qui élabore la stratégie électorale du Président. Pourquoi ? Voilà donc quelques raisons qui expliquent pourquoi Bouteflika semble tarder à annoncer sa candidature. Pour les pressés, il faut attendre encore.



31/12/2008
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